Divine insouciance
Ils voudraient connaître les deux fins d'une même histoire, sans rien décider, regarder le paysage morne et indompté défiler derrière la fenêtre craquelée et souillée par leurs mains moites et crasseuses.
Ils ne comprennent pas.
Ils voudraient l'assurance du bonheur, des promesses, et des certitudes d'une vie douce et claire. L'insouciance les aveugle et les trompe. L'accoutumance les ronge.
Fermer les yeux lorsque les alentours se font tristes, comme gâchés, lorsque l'authenticité du bonheur est mise en doute, quand la réalité explose le verre fragile de l'illusion trop aisée, trop accommodante.
Non ils ne comprennent pas.
Divine insouciance. Face à face, ils ne peuvent que deviner leurs présences. Le sang coule de leurs yeux crevés. Cervelles extraites il y a bien longtemps. Ils étaient consentants, endormis et apaisés par la promesse de ne plus craindre la vie et ses obstacles. Ils ne veulent pas les affronter. Ils ne veulent plus les voir.
Mais ils ne comprennent pas.
Non. Personne n'a la science infuse. Ni eux, ni moi. Leurs borborygmes ne font que rappeler au monde qu'il est tombé bien bas. La lumière de leur vie n'est pas même visible à leurs propres yeux. Leur allégresse croît, sa glissade vers l'infini ne s'arrêtera pas, pendant que le vide et le mensonge emplissent leurs vies, s'enroule, les enserre étroitement d'une tiède enveloppe qu'ils pensent protectrice. Les bras maternels. Une marâtre assassine qui berce son enfant avant de l'étouffer. Pour son bien.
Je n'arrive pas à les mépriser. Juste remercier le ciel de m'avoir épargné son aspect le plus pitoyable. Serment d'allégeance envers Toi qui n'existe pas : je continuerai à faire ce qui me semble mieux, quoi qu'ils me disent. Je n'écouterai que ceux qui en valent la peine : les Humains. Les vivants. Vous.
Qu'ils se repaissent de leurs tromperies, me méprisent. Je bénis leur existence. Grâce à eux je réalise enfin que ma situation est acceptable, "normale". Je m'en contente désormais quand ces pauvres âmes me dévoilent leurs maigres ressources nauséabondes, déchets toxiques et dépouille infectée de ce qui fût leurs pensées.
Je peux désormais tourner la page.